Architecte invitée

Inès Lamunière
 
BIO
Inès Lamunière est née en 1954 à Genève où elle suit une éducation anglo-saxonne à l'Ecole Internationale de Genève. Elle obtient son Master en architecture à l'École polytechnique fédérale de Lausanne en 1980. Pendant quatre ans, elle poursuit sa formation à l'Institut suisse de Rome et, en parallèle, est architecte chez Paolo Portoghesi Architetto à Rome puis chez François Maurice, architecte à Genève. En 1984, elle co-dirige Devanthéry et Lamunière Architectes, puis dès 2001, dl-a, designlab-architecture - architecture, restauration du patrimoine et urbanisme. Lauréate de concours, ses mandats sont acquis dans différents champs de l'architecture et à différentes taille d'intervention. En 2014, elle prend la direction de dl-a, designlab-architecture, et s'entoure d'une équipe de collaborateurs dans tous les domaines de l'architecture. En parallèle de sa pratique professionnelle, elle est sollicitée pour des missions d'enseignement et de recherche. Elle a été notamment professeure invitée à la Graduate School of Design, Harvard University. Actuellement, elle est professeure d'architecture à l'école polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) pour l'enseignement du projet en Master. Elle y dirige depuis 2001 le Laboratoire Architecture et Mobilité Urbaine (LAMU) afin de répondre aux enjeux de l'évolution des modes de mobilité et de l'étalement territorial des zones urbanisées. Elle dirige également le programme doctoral Complex Design. Inès Lamunière a reçu le Prix Suisse Meret Oppenheim pour les Arts en 2011. Elle est distinguée par la République française au grade de Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres en 2017. Elle est membre SIA, FAS et FSU.


Ses projets et réalisations on fait l'objet de nombreuses publications dont :
— Joseph Abram, Devanthéry & Lamunière : Fo(u)r Example(s), Birkhäuser-Verlag, Basel, 1996.
— Joseph Abram, Devanthéry & Lamunière, Pathfinders, Birkhäuser-Verlag, Basel, 2005.
— Emmanuel Caille et al., Devanthéry & Lamunière, InDetails, Archibooks Sautereau Ed, Paris, 2010.
— Anne Kockelkorn and Laurent Stalder, Devanthéry, Lamunière : images d'architecture :
deux entretiens, Editions Infolio, Gollion, 2011.
— Laurent Stalder et al., Interviews on architecture with Inès Lamunière, Turich 2018
(à paraître en automne).


 
CONSTRUIRE DANS ET AVEC L'ARCHITECTURE DU PASSé PAR INES LAMUNIERE
Les années de l'apprentissage
Au début de mon travail d'architecte, j'ai choisi de poursuivre en parallèle une réflexion culturelle sur l'architecture et un apprentissage de son art de bâtir. Les années 80 voyaient les outrecuidances d'une post modernité commerciale et vulgaire. Mais un état d'esprit émergeait aussi. La recherche des fondements constructifs et fonctionnels de l'architecture dite "moderne" nous intéressait. Cet intérêt était aussi lié à des occasions de réhabilitations – de restaurations disait-on – d'un patrimoine moderne, laissé à l'abandon parfois, obsolète ou encore fragilisé par le temps. Dans ce contexte,
les reconstructions du pavillon de l'Esprit Nouveau de Le Corbusier, ou celle du pavillon de Mies van der Rohe à Barcelone prenaient un sens et devenaient paradoxalement, plus de soixante ans après leur première édification, des manifestes pour une architecture nouvelle, plus essentielle. Leur architecture, toute neuve et belle était inspirante non pas seulement comme sujet de design, mais bien comme une architecture construite, faite de matière, d'une grande rigueur du détail, du dimensionnement, sorte d'ode à la mise en forme issue des éléments construits.

Plus proche de moi, en Suisse, le regard se portait sur des oeuvres sur lesquelles on ne savait presque plus rien, qui étaient souvent bien "abimées" et parfois dévolues à la destruction pour raison d'obsolescence. Il a fallu cette incroyable conjonction de quête d'apprentissage du métier sur un ancrage intellectuel autant que pratique, pour réunir un ensemble de jeunes architectes autour de ces questions. Mon associé d'alors, Patrick Devanthéry ainsi que Laurent Chenu ou encore Christian Sumi, parmi d'autres, et moi-même avons commencé à étudier ce qui nous environnait ; découvrant alors aux côtés de Le Corbusier (Immeuble Clarté à Genève, 1932) et de Jean Tschumi (Aula de l'EPUL, 1962), des architectes plus régionaux mais qui se sont avérés de vraies découvertes : Marc Piccard (Bain de Bellerive 1936), Marc Joseph Saugey (Cinéma Le Paris à Genève, 1957) ou encore les ingénieurs Pierre Trembley (Patinoire des Vernets, 1958) ou Pierre Froidevaux (Mont Blanc Centre, 1953).

Les projets de restauration du patrimoine du XXe siècle
Forts de ces recherches menées en dehors des cercles professionnels, j'ai eu la chance, avec Patrick Devanthéry, d'être mandatée pour la restauration de Bains de Bellerive-Plage à Lausanne. À cette occasion, une méthodologie de projet et de chantier a été mise au point (voir : Bellerive-Plage, projets et chantiers, Payot, Lausanne, 1997). Depuis, cette même méthodologie, qui repose sur des connais-sances autant sociales que techniques que du savoir-faire constructif, est appliquée par mon bureau dl-a, designlab-architecture à de nombreux projets. En effet, ont suivi les chantiers de restauration de l'aula de l'EPUL (1996), du Cinéma Le Paris (1999), de Mont Blanc Centre (2002), notamment. Dans tous ces cas, l'enrichissement pour ma pratique de l'architecture fut déterminant. La connaissance des chantiers du béton, de l'acier ou encore de l'aluminium ont vraiment et largement contribué à l'acquisition des connaissances qui me permettent de discuter d'égal à égal avec les entreprises de construction. De plus, ces savoirs continuent encore aujourd'hui à questionner et faire réfléchir notre équipe sur les cultures constructives actuelles.

Les projets d'intervention sur les obsolescences la modernité
Simultanément aux premières constructions ex nihilo du bureau, un nouveau type de projets et de mandats sont apparus : des édifices "en dérive", dont l'avenir est incertain. Il s'agit notamment de friches industrielles en quête de nouveaux usages, d'immeubles dont l'obsolescence fonctionnelle se double de problèmes de salubrité – amiante –, ou encore de bâtiments existants à agrandir et transformer en vue de densification urbaine.

Ce nouveau type de projet, tout comme les projets de restauration du patrimoine moderne, permet une revalorisation de contextes bâtis dans l'environnement urbain dans lesquels ils s'insèrent. En effet, ils sont autant l'occasion d'une réflexion en profondeur sur l'évolution des usages que sur l'expression de ces usages, devenus souvent multiples, dans l'espace public.

Le site industriel de la SIP (Société d'Instruments de Physique) au coeur de quartier de Plainpalais à Genève a fermé ses portes en 1995. D'abord occupé, squatté, ensuite partiellement aménagé pour abriter le musée d'art moderne et contemporain (MAMCO), l'ensemble se cherche une destinée qui concilierait usages publics et privés. À l'occasion de la reprise de ce foncier par la Caisse de retraite des employés de l'Etat de Genève, mandat nous a été confié d'entreprendre différents scenarii de réhabilitation, transformation, agrandissement du site. Il en résulte une stratégie intéressante du "step by step", où, par une mise en place d'un cahier des charges propre au repérage de parties d'ouvrage, structure béton et / ou acier, enveloppe en maçonnerie, baies vitrées, systèmes distributifs, etc, le projet peut évoluer en fonction de la demande. Celle-ci est multiple : secteurs à haute valeur ajoutée (études d'avocats, bureau administratif pour l'université, architecte, sociétés de production design), côtoient des programmes de relocalisation d'artistes qui occupaient préalablement le site. Le cahier des charges a ensuite été appliqué sur la période 2006 à 2017, la dernière partie ayant aussi fait l'objet d'une nouvelle surélévation.

Un autre exemple est celui de la transformation de l'ancienne tour administrative de la RTS (Radio et Télévision Suisse) également implantée à Genève. Lauréat du concours international, notre projet La rue à tous les étages a été l'occasion de mettre à nu la structure en béton de la tour de 18 étages. Après un désamiantage complet ont suivi les travaux de transformation et de modification de la tour qui ont fait l'objet de la mise en oeuvre de trois principes :
1) la nouvelle enveloppe est capable d'exprimer les nouvelles ambitions de l'information audiovisuelle ainsi que résoudre et amener des améliorations significatives à la thermique et au confort du bâtiment,
2) la découpe de certaines dalles, l'insertion de nouveaux escaliers dans des atriums, permet une relation "à pied" plus facile entre les étages et les différentes rubriques des journalistes,
3) la réalisation d'un grand espace en porte-à-faux aux 17 e et 18 e étages permet la rencontre et l'échange entre collaborateurs ou la réalisation de prises de vue et la réalisation de nouvelles émissions alors que le panorama sur le lac Léman est le décor privilégié.

Le projet de modernisation de l'Opéra de Lausanne a fait l'objet d'une stratégie de projet un peu différente. La contrainte budgétaire étant particulièrement forte et les besoins techniques très lourds (nouvelles scène et techniques de scène), le choix a porté sur la démolition propre du bâtiment au niveau du plan précis du rideau de scène. Cette clarté de l'intervention permet de reconnaître la qualité indéniable de la salle composée d'un parterre et de trois balcons. C'est d'ailleurs cette salle qui a servi de décor au magnifique dialogue entre les acteurs Jean Louis Trintignant et Irène Jacob dans Rouge de Krzysztof Kiešlowski sorti en 1994.
La précision de la ligne de coupe a donc permis une restauration dans les règles de l'art de la salle et des parties existantes publiques qui donnent sur l'entrée de l'avenue du théâtre à Lausanne. Derrière le rideau de scène, s'est déroulée pendant un chantier de 24 mois, la construction d'un édifice résolument contemporain dans le quartier haussmannien somme toute bien bourgeois et de l'avenue Beauséjour.
Tour de scène à 32m, grande scène, foyer des artistes, loges, atelier de production des costumes, décors, administration du théâtre forment un nouveau volume, dont l'enveloppe en plaques d'acier forme le manteau. Ces exemples montrent que ce genre de projets fait partie de la construction des villes qui se renouvèlent autant parce qu'ils sont à l'origine de synergies entre économie financière et nouveaux usages que parce qu'ils ont juste parfois la chance d'être déjà là, au coeur des villes.


Le projet contemporain est amené à modifier plus qu'à édifier
Ces expériences de modification m'ont aussi appris à voir l'ensemble des projets du bureau, bâtiments neufs ou bâtiments transformés comme autant d'objets qui sont le produit d'un regard disciplinaire renouvelé sur l'architecture.

Un de nos projets actuellement en construction, illustre peut-être cette idée. Dans le quartier de Clinton Hill à Brooklyn la construction d'un très petit immeuble d'habitation de quatre niveaux et un sous-sol est en cours. La typification des brownstones est connue : trame de trois fenêtres sur rue, une porte d'accès, un jardin arrière invisible depuis la rue, façade en calcaire brun. Pour moi, s'insérer dans ce contexte ne demande aucune provocation de style ou de forme, même si, en l'occurrence, la parcelle n'est ici pas en zone protégée. Afin de proposer une Case Study house, renouvelée, économique et accessible à une classe moyenne, qui n'est pas encore gentrifiée, le projet s'est attaché à réfléchir en termes de simplicité typologique, structurelle, des éléments d'équipement, de distribution et de métrique des espaces. Le contrôle de la volumétrie tout comme le choix d'un revêtement en plaque d'aluminium en feront, toutefois, un projet basique, qui tient à la fois des chantiers pour l'aviation et d'une étrange solution post-venturienne pour l'angle des rues Classon et Greene.

Pour conclure, probablement trop rapidement sur ces propos, je souhaite affirmer que nous avons encore tout à apprendre d'une architecture contemporaine pensée comme une discipline qui modifie plus qu'elle n'édifie.