Architecte invité

José Manuel López Osorio

Architecte
Université de Malaga

 

BIO
José Manuel López Osorio est né à Grenade (Espagne). Ingénieur en bâtiment depuis 1991 et architecte diplômé de l'Université de Grenade depuis 2005, il a obtenu son doctorat en 2016 à l'Université Polytechnique de Valence. À partir de 2007, il a commencé à enseigner à l'École Technique Supérieure d'Architecture de Malaga, et, depuis 2015, dans le cadre du Master Universitaire en Réhabilitation Architecturale de l'Université de Grenade. Il concile son activité d'enseignement avec son activité professionnelle en développant son travail dans le domaine du patrimoine architectural. Parmi ses ouvrages les plus importants se trouve l'église de San Juan de los Reyes de Grenade qui a obtenu le Prix Europa Nostra 2006. De même, il a participé à la restauration du Cuarto Real de Santo Domingo de Grenade et a dirigé les travaux de restauration du château de Moclin et du château de Baena.
Son travail prend racine dans les valeurs et les enseignements de la tradition, en tentant d'apporter une contextualisation contemporaine depuis la connaissance matérielle et constructive de l'édifice original et en respectant la matérialité de sa maçonnerie et les séquences temporelles préexistantes.
Son activité de recherche se développe dans le cadre de plusieurs projets R&D dans des thématiques en relation avec l'architecture vernaculaire, la construction en pisé et l'architecture en terre de l'Espagne musulmane dont les études sur l'architecture en pisé du sud du Maroc et la muraille nasride de l'Albaicín de Grenade se démarquent. Il est coordinateur de plusieurs projets universitaires de coopération internationale au développement au Maroc et en Bolivie qui abordent différents aspects de l'architecture, de l'habitat et du paysage. Il est aussi le co-fondateur de l'association Lógicas Locales : Arquitectura y Cooperación (Logiques Locales : Architecture et Coopération).


 
Conversations à pied d'oeuvre par José Manuel López Osorio
L'intervention dans l'architecture préexistante est un domaine d'expérimentation très ample où intégrer les différentes valeurs du patrimoine dans leur sens le plus large. La connaissance et la reconnaissance des qualités artistiques, constructives ou architecturales d'un édifice auquel est octroyé une valeur patrimoniale présente une ample perspective dans laquelle il est possible de prendre en considération tant l'architecture de grande valeur historique que tout autre construction de caractère vernaculaire méritant d'être conservée. L'éthique environnementale nous contraint aussi à réfléchir sur l'énorme quantité d'"énergie incorporée" présente dans tout édifice construit, dont la démolition et le remplacement ne supposerait qu'un nouveau gaspillage énergétique.

Travailler avec les préexistences, que ce soit de la perspective de leur conservation ou de leur transformation, constitue, par conséquent, un exercice varié qui nous force à approfondir et à repenser, une fois de plus, le futur de la discipline architecturale. Il sera nécessaire de comprendre et de réinterpréter les constructions existantes pour muter vers de nouveaux territoires d'expérimentation contemporaine qui devront être équilibrés socialement et qui soient durables d'une perspective énergétique. Travailler avec les préexistences nous contraint à nous rapprocher de la limite, du bord instable et de la frange de contact. Un territoire incertain, non orthogonal, qui, à certaines occasions, répond aux lois de composition et d'organisation constructive qui exigent de repenser en permanence notre position depuis la conduite architecturale. Le projet devra pouvoir générer de nouvelles lois et des systèmes ouverts qui pourront être réalisés à pied d'ouvrage depuis la systématisation contemporaine nécessaire, mais, aussi, avec la capacité de s'adapter à la préexistence sans perdre son autonomie conceptuelle. Une méthode flexible permettant d'intégrer le nouvel édifice, la pièce ajoutée, ou, simplement, l'appareil de la nouvelle maçonnerie, de manière à ce que ses formes d'organisation respectent et dialoguent avec celles préexistantes.

Travailler avec la reconnaissance et le transfert de la signification de l'architecture s'avère toujours un territoire complexe, quand, de plus, cette signification doit intégrer le caractère de l'architecture patrimoniale et les indispensables travaux de conservation, de restauration ou d'une nouvelle intervention. La décision portant
sur ce qui doit être conservé, et, surtout, la manière de réaliser ce transfert pour qu'il puisse être compris, s'avère être un exercice délicat qui exige une observation depuis l'analyse critique des différentes valeurs du patrimoine, nécessairement abordée depuis la réalité contemporaine. Tout processus de révision critique et d'intervention sur un édifice construit comporte l'inévitable renoncement à d'autres réalités présentes qui, à certaines occasions, n'ont que peu de lien avec la vraie identité que l'on prétend conserver et transmettre. Mettre l'emphase sur la recherche de cette identité n'est pas toujours en relation avec la conservation matérielle, mais ce sera notre responsabilité quand nous oeuvrons nécessairement près de cette ligne fine qui sépare l'archéologie de l'architecture. Montrer les valeurs archéologiques d'un édifice, et que celui-ci soit capable d'initier une nouvelle vie sans renoncer à son passé s'avère être le majeur défi de l'intervention.

Dans le cas de la demeure mauresque de l'Albaicín de Grenade, nous nous trouvons face à une architecture domestique héritée de la période islamique chargée de transformations typologiques et spatiales qui ont été ajoutées au fil du temps. L'action propose une rénovation sereine qui conserve la majeure partie des témoignages et des modifications d'une typologie qui, aujourd'hui, se révèle impure. Du point de vue formel, on se positionne dans la conservation du langage architectural existant, pas tant aux fins de reproduire un modèle systémique, mais comme une stratégie efficace du point de vue matériel et constructif. L'intervention apparaît sereinement dans la cage d'escaliers qui, à titre d'un nouvel élément ajouté, acquiert une matérialité simple et clairement contemporaine.

L'intention de la restauration de l'église de San Juan de los Reyes de Grenade est de montrer la diversité stratigraphique d'un édifice qui conserve le minaret almohade de la mosquée du XIII e siècle transformé en tour-clocher de l'église mudéjare du XVI e siècle. Dans les années postérieures, des interventions baroques et
néo-gothiques sont réalisées sur l'édifice, ainsi que plusieurs restaurations réalisées au XX e siècle. Huit siècles d'histoire constructive sont exprimés dans la maçonnerie et les parements qui se présentent comme un palimpseste où recueillir les différentes empreintes matérielles leur donne forme et sens. Dans ce contexte, il est important de connaître et de documenter les différentes phases de l'édifice et ses transformations : une énumération de couches et de strates diverses qui, sans aucun doute, possèdent des valeurs relatives – fruit de sa relation avec le passé et sa mémoire –, mais qui présentent une partie de notre héritage culturel et mémoire collective. Dans ce contexte, la différence et la diversité de l'ensemble, l'analyse des contacts entre les surfaces architecturales et l'intégration des éléments périphériques sont les éléments qui décrivent la singularité de l'objet étudié.

Dans l'intervention réalisée sur la décoration du noeud du minaret, la restitution formelle réalisée avec des briques présentait une géométrie mathématique rigide qui n'admettait pas de contact avec la préexistence, déjà contrefaite. L'ajustement entre la forme originelle et celle ajoutée ne paraît pas aussi important que l'intégration et la récupération de la signification d'une image finale finie et compacte.

Dans l'intervention réalisée dans le Mexuar de l'Alhambra de Grenade, l'incorporation d'une nouvelle utilisation administrative – dans l'une des salles les plus anciennes de l'ensemble monumental –, exigeait l'installation de deux planchers en bois et de plusieurs tronçons d'escaliers, ainsi que la rénovation des revêtements et des installations. Les éléments ajoutés acquièrent un langage contemporain qui présente sa propre géométrie, en se séparant des murs originaux qui avaient été déjà restaurés.

Dans les consolidations structurelles réalisées dans les châteaux de Moclín et de Zagra, la réintégration de la maçonnerie en pierre a été réalisée selon les appareils originaux, en validant tant les niveaux de dégradation que la perte partielle ou totale des revêtement originaux. La consolidation en profondeur des joints de la maçonnerie et le léger contraste entre ce qui est original et les ajouts est un indicateur de la matérialité de la maçonnerie et met en évidence le caractère de notre intervention. Dans l'une des tours en terre de l'époque musulmane du château de Moclín, la restitution du volume massif de la tour a été réalisée en définissant un parement renfoncé qui, à titre de lagune ou volume d'intégration, permet de mettre en relation les différents secteurs de la construction en terre conservée.

Dans l'intervention réalisée dans le château de Baena, le défi est double. D'un côté, l'intention est de conserver la valeur archéologique de la maçonnerie existante, et, de l'autre, la récupération nécessaire des volumes disparus de la majeure partie des pans et des tours du château, ainsi que la récupération partielle de sa spatialité intérieure, transformée et adaptée à de nouvelles utilisations. L'échelle territoriale et paysagère de l'action exige aussi la récupération du profil urbain de la commune andalouse.

La nouvelle spatialité naît de l'ensemble des nouveaux parements en grès et en béton blanc, et tente d'établir un dialogue avec la matérialité historique, en générant de nouvelles dépendances où se développent des usages culturels rénovés. Les espaces nouvellement créés sont connectés par des passerelles en bois qui relient l'intérieur des tours avec les chemins de ronde du château, en permettant de parcourir une grande partie de son périmètre. L'action réalisée part de la mise en valeur de l'objet patrimonial, entendu maintenant comme un amalgame historique dépourvu d'usage qui récupère sa valeur culturelle et son caractère symbolique depuis la révision de sa signification. La restitution des volumes du château est réalisée avec un matériau traditionnel, mais est conçue, formellement et constructivement, avec un nouveau langage qui présente la relation complexe et délicate entre l'ancien et le nouveau, entre la tradition et le respect de la contemporanéité.